Débat avorté sur l’étude Cahuc-Carcillo (maj)

La tribune de Thomas Coutrot et Michel Husson critiquant l'étude de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo sur les effets à attendre des contrats nouvelles embauches et première embauche a été publiée dans Le Monde de ce soir (daté du 11 avril). Comme il en était question, elle est suivie d'une réponse des auteurs de l'étude incriminée (je mets le tout en ligne ici au format pdf).

Mais la lecture de ces papiers s'avère finalement décevante : Cahuc et Carcillo ont beau jeu de s'appuyer sur le vocabulaire employé par Coutrot et Husson pour disqualifier leur critique, jugée "idéologique", mais ne répondent que très sommairement sur le fond.

Mise en jour en fin de billet : la controverse suscite de nombreuses réactions mais le niveau ne s'élève pas.

Coutrot et Husson qualifient-ils Cahuc et Carcillo d'"économistes libéraux" à tort ? J'avoue que le débat sémantique m'intéresse assez peu et je n'y entrerai donc pas. Au-delà d'un vocabulaire qui le dessert certainement, il me semblait que le papier de Coutrot et Husson soulevait des questions intéressantes, sur lesquelles j'avais rebondi.

Une critique "interne" centrale portait notamment sur le fait que Cahuc et Carcillo retiennent pour les salariés en CDI un coût unique de licenciement "supposé égal à un an de salaire" alors qu'ils indiquent par ailleurs que "pratiquement rien n’est dû durant les deux premières années (il n’y a pas d’indemnité légale, et les indemnités conventionnelles, lorsqu’elles existent, sont très faibles)".

Sur ce point la réponse de Cahuc et Carcillo tient en quelques lignes :

MM. Coutrot et Husson auraient détecté une "erreur cruciale" car nous supposons qu'"il est moins coûteux de licencier un CNE-CPE qu'un CDI". Mais si tel n'était pas le cas, on ne voit pas pourquoi les personnes embauchées en CNE-CPE pourraient être en situation plus précaire que celles en CDI.

Est-ce une réponse ? Je n'en ai pas l'impression (et accessoirement je trouve que c'est une drôle d'idée de réduire la "précarité" au coût de licenciement d'un salarié : il me semble qu'en l'espèce les questions de la motivation du licenciement et de la durée du préavis doivent, entre autres, être prises en compte dans la détermination du degré d'instabilité de l'emploi).

De manière peu surprenante, Cahuc et Carcillo répondent encore moins à la critique "externe" à l'encontre du modèle utilisé : ils se contentent d'écrire que leur "maquette du marché du travail français (…) ne ressemble que très vaguement à ce qu'[ils ont] pu comprendre de la description qui en est faite". On aurait aimé en savoir plus sur ces dissemblances, mais on restera ici encore sur sa faim.

Notons pour finir que Cahuc et Carcillo soulignent à deux reprises que leurs résultats "ne sont que des ordres de grandeur approximatifs, qui méritent discussion". Sauf erreur de ma part, c'est la première fois que je relève cette précision utile dans les nombreuses interventions médiatiques des auteurs (je ne la décèle pas ici, par exemple).

Mise à jour :

Comme me le fait remarquer François dans les commentaires, Bernard Salanié, avec lequel Michel Husson (entre autres) a croisé le fer fin 2000 (pdf), réagit sur son blog à la controverse. Il s'agit d'un billet d'humeur qui n'aborde pas les questions de fond… mais les commentaires des lecteurs sont très intéressants !

Salanié signale au passage un texte qu'Etienne Wasmer diffuse sur son site (pdf) à propos de la controverse. Une partie assez intéressante du papier en question concerne la critique "externe" de Coutrot et Husson sur le modèle utilisé par Cahuc et Carcillo. Par contre, rien sur les hypothèses contestées alors que Wasmer précise :

"On peut être en désaccord sur telle ou telle hypothèse, mais une fois une hypothèse posée, on obtient un faisceau de résultats dont le degré de confiance repose sur la validité des hypothèses. Le débat peut alors, de façon constructive, porter sur ces hypothèses."

On attend effectivement que le débat porte maintenant de manière constructive sur ces hypothèses…

Pour le reste, dire que "toute critique émanant de personnes refusant de se préter au jeu de l’évaluation par les pairs ne devrait pas être prise au sérieux" me semble être un argument spécieux. Rappelons tout de même que le papier critiqué n'a lui-même pas été "évalué par les pairs" avant d'être diffusé à la presse.

Egalement dans les commentaires, Yves signale un billet de Charles Wyplosz sur Telos-EU. Là non plus, pas de discussion sur les hypothèses contestées par Coutrot et Husson, mais une attaque particulièrement violente et personnelle contre un texte qui ose s'en prendre à "deux économistes reconnus au niveau international" (visiblement un crime de lèse-majesté).

Bref, je relève dans ces réactions beaucoup de leçons de science et de sérieux, parfois très méprisantes, mais aucune discussion scientifique. Assez paradoxal, il me semble. Et si on discutait vraiment de l'étude de Cahuc-Carcillo et de sa critique, maintenant ?

11 Réponses to “Débat avorté sur l’étude Cahuc-Carcillo (maj)”


  1. 1 François/phnk avril 10, 2006 à 10:51

    B. Salanié fait le point sur ces textes : on n'y apprend rien, ce qui correspond au bilan global de la coexistence des économistes très-à-gauche et des économistes libéraux.

  2. 2 Yannick Fondeur avril 11, 2006 à 10:55

    Merci de me signaler le billet de Salanié. On n'y n'apprend effectivement rien sur le fond. Le titre pourrait être "les économistes trotskystes sont-ils sérieux ?" et on pourrait y répondre, en paraphrasant Cahuc et Carcillo, que, pour qu'une critique "puisse être constructive, il faudrait avant s'émanciper d'une représentation du monde faite de clichés". Je n'ai pas l'impression que le débat décollera de cette façon.

    Par contre, les commentaires du billet sont intéressants !

  3. 3 yves duel avril 11, 2006 à 11:36

    Juste un énervement d’un non-économiste, à propos d’une autre réaction. Lien vers le billet.

  4. 4 Yannick Fondeur avril 11, 2006 à 4:36

    Message de service : je viens de m’apercevoir que mon billet a disparu de manière inopinée pendant un certain temps. Entre-temps, la discussion s’est un peu prolongée sous le billet précédent, ce qui ne facilite pas le suivi. En tout cas, tout est maintenant rentré dans l’ordre. Désolé des problèmes techniques à répétition ces temps-ci…

  5. 5 Econoclaste-SM avril 11, 2006 à 7:19

    Bon, ben je vois que ça s’arrange pas des masses. Si ça peut vous consoler, je trouve l’ambiance meilleure ici que chez Salanié :o)

  6. 6 Yannick Fondeur avril 11, 2006 à 9:50

    Pourvu que ça duuure ! :-)

  7. 7 jerome avril 14, 2006 à 3:51

    Interessé par vos débats, que pensez-vous de cet article:
    http://www.telos-eu.com/2006/04/en_economie_peuton_dire_nimpor.php

  8. 8 Yannick Fondeur avril 15, 2006 à 8:16

    Il s’agit de l’article de Wyplosz qu’Yves Duel signale plus haut.
    Ma mise a jour laisse assez clairement entendre ce que j’en pense, non ? ;-)

  9. 9 Florence avril 15, 2006 à 10:33

    Concernant « l’erreur cruciale » qu’auraient détectée M. Husson et T. Coutrot, (i.e. la surévaluation par Cahuc et Carcillo du coût du licenciement sous CDI)…Je tiens à faire remarquer que la question du coût du licenciement ne peut être déconnectée de celle de l’absence de motivation. Je m’explique : si l’on veut comparer CDI et CNE-CPE, dans le cadre d’une maquette des effets emploi, il faut considérer le CDI sous l’angle du licenciement abusif (l’employeur ne donne aucune justification, comme dans le CPE-CNE), ce qui représente bien un coût d’au moins six mois de salaire…. Autrement dit, l’erreur de Cahuc et Carcillo n’est peut être pas si cruciale. Florence

  10. 10 Laurent GUERBY avril 16, 2006 à 1:36

    Tiens, j’ai fait la même remarque chez Bernard Salanié :

    http://bsalanie.blogs.com/economie_sans_tabou/2006/04/dprimant.html#comment-16042498

     »
    Un deuxième point, au-dela des attaques personnelles (vraiment de bas niveau), Thomas Coutrot et Michel Husson emettent une critique précise d’une des hypothèses (cout du licenciement comparé), et il me semble que la réponse de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo sur ce point précis est pour le moins légère (dommage de rester dans un registre de bas niveau).

    Rédigé par: Laurent GUERBY | le 11 avril 2006 à 02:20
     »

    Florence, est-ce qu’il y a des statistiques sur les licenciements contestés devant la justice vs le nombre de licenciement total ? Je n’ai pas trouvé de mesure encore, juste « ça coute cher en France ».

    Merci par avance,

    Laurent

  11. 11 Yannick Fondeur avril 20, 2006 à 3:17

    Désolé pour le délai de réponse lié à quelques jours de vacances…

    Florence > Je ne saisis pas bien ta remarque : l’indemnité de 6 mois de salaire minimum en cas de licenciement abusif, c’est pour les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise.
    En outre, la possibilité de licencier pour « insuffisance professionnelle », qui est un motif pour le moins subjectif, permet d’éviter de licenciement abusif dans de très nombreux cas pour les salariés à faible ancienneté.

    Laurent > Je suis heureux de voir que je ne suis pas le seul à m’étonner de l’absence de réponse sur ce point !
    Concernant les statistiques sur les licenciements contestés, l’OCDE a sorti il y a quelques semaines une comparaison internationale « brute », mais elle me semble difficilement utilisable en l’état du fait de l’hétérogénéité des procédures d’un pays à l’autre.


Laisser un commentaire




Tous les billets peuvent être partiellement cités sous réserve de mentionner le nom de l'auteur et sa source. En revanche, leur reproduction intégrale doit être soumise à l'autorisation expresse et préalable des auteurs.

Autopromo



chez La Découverte
collection Repères

S’abonner à surlemploi


Cliquer sur l'icône pour souscrire au fil RSS


Si vous préférez recevoir les mises à jour par email, cliquer ici.